« Le don d’organes a donné un sens à sa mort, et un sens à ma vie »
Marie-Laure Lebègue a donné un de ses reins à son fils en juin 2016. Mère d’un receveur et femme d’un donneur, milite, elle, pour le don. Elle raconte.
J’ai connu les deux côtés du miroir du don d’organes. Très jeune, mon fils Rémy a développé une maladie auto-immune, son propre corps détruisait ses reins. Après des années de traitements dont la cortisone et des semaines de dialyse, en avril 2000, à 5 ans et demi, il a enfin reçu le rein d’un donneur anonyme. C’était immense.
On nous avait dit qu’il attendrait six mois, mais en six semaines il a pu être greffé. Tout est allé très vite. Ça a été beaucoup de joie, mais aussi de la culpabilité, quelque part une famille pleurait un proche mais avait eu la générosité de donner. Daniel, mon mari voulait fêter la date de cette greffe, je n’ai jamais voulu, je pensais à cette famille et me sentais redevable.
En 2014, la santé de Rémy s’est dégradée et, en février 2015, les médecins ont dû lui enlever son greffon. Il a repris les dialyses, les allers-retours à l’hôpital. Et fin mars, ma vie a basculé. Daniel, 58 ans, le père de mes quatre enfants, a fait un accident cardio-vasculaire. Son cerveau n’était plus irrigué, on se dirigeait vers une mort encéphalique. En 48 heures, il a été déclaré en mort cérébrale mais ses autres organes fonctionnaient.
« Le don d’organes a été comme évidence »
Ca fait mal de se dire que l’on va toucher à celui que l’on aime. Pourtant, avec mes enfants, le don d’organes a été une évidence. Nous en avions toujours beaucoup parlé dans notre famille. Et comment aurais-je pu refuser après le don qui avait été fait à mon fils? Alors, je me suis retrouvée de l’autre côté du miroir, après avoir reçu, j’allais donner. Le médecin réanimateur et l’infirmier coordinateur nous ont expliqué les démarches, ils ont fait les derniers contrôles et je suis restée avec Daniel jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il entre au bloc à l’hôpital Cochin, à Paris.
Daniel était en bonne santé et je n’ai pas énoncé de restriction. Les organes ont donc pu être prélevés: son coeur, ses deux reins, ses poumons, son foie, son pancréas, la cornée, des os. La greffe des os allait permettre à des jeunes qui souffrent d’ostéoporose aggravée de retrouver l’usage de leurs bras ou leurs jambes. Je me suis dit que Daniel serait heureux de savoir que ces jeunes pourraient retaper dans un ballon, lui qui aimait tellement le football. Au total, sept personnes ont bénéficié de ses organes, dont deux en urgence absolue qui seraient décédées dans les 48 heures.
Je ne cache pas que j’ai été envahie par la colère et l’injustice. Les reins de mon mari allaient sauvés des gens, alors que mon fils était dans un lit d’hôpital et en avait besoin. Mais le don post-mortem est strictement anonyme et on ne peut en aucun cas choisir le receveur.
« J’ai écrit une lettre pour les receveurs »
Je ne saurais jamais qui a reçu les organes de mon mari. D’ailleurs, je ne veux pas le savoir. J’ai perdu l’amour de ma vie et je ne veux pas me projeter avec des inconnus. Mais Martial Solagne, l’infirmier coordinateur de prélèvements d’organes et de tissus de l’hôpital Cochin m’a donné de leurs nouvelles juste après la greffe et au bout de six mois. Je lui redemanderai tous les ans. J’ai aussi écrit une lettre pour les receveurs qui leur a été transmise. Je leur souhaite d’être heureux, de profiter de la vie, qu’elle soit longue et belle.
Evoquer la greffe est plus simple que le don, qui touche à la mort. En discuter en famille, avec ses amis, est pourtant fondamental pour que ceux qui restent, les vivants, se sentent moins responsables de cette décision difficile. Il faut toujours garder à l’esprit que la vie peut basculer à chaque instant, que tout le monde peut avoir un problème de santé et un besoin d’une greffe, et que vous serez heureux que quelqu’un, quelque part, ait accepté de faire don de la vie.
« Sa mort était moins absurde »
Je comprends que le don d’organes fasse peur et je respecte les réticences des familles qui craignent que le corps de leur proche soit abîmé. Mais, le prélèvement se fait dans les mêmes conditions qu’une intervention chirurgicale normale, avec le même respect afin de préserver l’apparence du corps et il est rendu à la famille pour les funérailles.
Le don d’organes de mon mari m’a aidé à avancer. Tous les jours, je me lève et me dis que des gens vivent grâce à lui. Pour moi et mes enfants, sa mort est devenue moins absurde. Ce don a donné un sens à sa mort, et un sens à ma vie.
En juin dernier, après beaucoup de réflexions sur ma proposition, Rémy a finalement accepté que je lui donne un de mes reins. Tout s’est très bien passé pour nous deux. J’en suis très heureuse. Je suis devenue donneuse, mère d’un receveur et femme d’un donneur.
Anna Benjamin L’Express du 23 Janvier 2017